Vers un triomphe d'Ennahda
Les résultats des élections tunisiennes ne seront officiels que demain, mais déjà j’ai pu recouper la large victoire d’Ennahda auprès des militants de plusieurs mouvements ou partis. Les islamistes auront environ 40% des voix et des sièges, peut-être un peu moins, comme l’espéraient encore certains. De toute façon ils feront obligatoirement parti du prochain gouvernement.
Islamistes ? Mais quels islamistes ? Leurs porte-paroles ont donné tellement de gages lors de cette campagne ! Ils ne remettraient rien en cause, surtout pas le statut de la femme (les tunisiennes ont eu le droit d’avorter 10 ans avant les françaises !), ni les libertés chèrement conquises, à commencer par celles de s’exprimer ou de créer. Celles de se vêtir selon son goût aussi. Au contraire ! D’ailleurs avec eux, aucune loi ne prétendra jamais comme en France (ou encore en Turquie) obliger une femme à se défaire de son voile ou de son niqab. Vous saisissez la nuance ?
Dans ces conditions, leur dis-je,pourquoi vous dites-vous islamistes ? Appelez-vous centristes puisque vous affirmez que votre dessein est de gouverner la Tunisie au centre…
Ennahda, c’est simple : Côté face vous avez des leaders auxquels vous donneriez le bon Dieu sans confession (!), des mines de cadres superieurs glabres et pondérées en toutes chose. Ils viennent de la classe moyenne éduquée mais méprisée par les voyous du clan Trabelsi qui ne leur ont laissé que des miettes. Des honnêtes gens craignant Dieu inspirés, disent-ils, par la démocratie chetienne. Côté pile : une organisation redoutable rompue au double langage, des meetings dans lesquels on trouve la pire litterrature salafiste, capables de manipuler n’importe quelle foule contre telle ou telle mesure politique ou œuvre artistique jugée blasphématoire. Voici comment, avec un groupe puissant-et modéré- à la constituante et sans doute des portefeuilles clés, ils entendent faire leur chemin.
Les modernistes, abasourdis, sont divisés entre ceux qui pensent pouvoir les digérer en faisant alliance, et ceux qui veulent leur resister dans l’opposition.
Le resultat sera accepté par tous les tunisiens. Pas de scenario à l’algerienne. Les choses ont changé depuis le printemps arabe. « On n’a peur de rien ! » est ce qu’ils repètent volontiers. Comme pour exorciser ?…Ils ont eu tellement peur de la clique de Ben Ali, que depuis qu’il l’ont vaincue, ils pensent ne plus jamais avoir peur de leur vie. Ce sont des lions. Et c’est vrai que vu d’ici, on voit mal comment cette société ouverte, tellement proche pourrait se laisser islamiser.
Du reste parmi ceux qui ont voté Ennahda combien l’ont fait pour des raisons idéologiques ou religieuses ? Il s’agit surtout d’un vote sociologique. Ce qui est sûr c’est que cette victoire en appelle d’autres, ailleurs dans le monde arabe, à commencer par l’Egypte, dès le mois prochain. Car elle finira de convaincre les indécis qui hésitaient à voter pour les frères musulmans. Sauf que là bas, ce n’est peut-être pas la même bière. Pardon la même eau.
PS: Hier, il m'arrive une chose incroyable: Dans un bureau de vote de Tunis, je tombe sur Tristan Mendès France, petit fils de l'ouvrier de l'indépendance tunisienne qui me dit, ému: "dommage que le vieux ne soit plus là pour voir ça!". Quel symbole! Sérendipité...
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